Presse : Philippe Druillet, un vrai monstre sacré qui révolutionna la BD dans les années 70

Date le 3 janvier 2021
Presse : PARIS NORMANDIE
Cliquez ici pour lire l’article !

En savoir plus sur l’artiste, cliquez ici !


Bande dessinée. « Monstre sacré » colle parfaitement à Philippe Druillet autant qu’à son œuvre. Franc-parler et langage fleuri, intériorité bouillonnante et visions lumineuses, celui qui révolutionna la BD dans les années 70 revient sur les origines, avec des « mirages » comme points d’ancrage.

Pouvez-vous expliquer le titre « Mirages », ces recueils de vos travaux BD que vous mettez à jour depuis 1976 jusqu’à cette édition sous-titrée « Folies augmentées » ?

Philippe Druillet : « Mirages, c’est ce que l’on espère trouver et qu’on ne trouve jamais. Et en même temps, c’est une route à suivre. Oser ce que d’autres n’oseront pas. Être assez idiot pour y aller ! Être artiste, c’est être complètement inconscient, mégalo, fou. Mais avec l’ego au service de l’œuvre et non au service du moi.

Folies augmentées, c’est parce que l’éditeur Benoît Cousin a retrouvé des documents absolument inouïs comme La faune de l’espace avec Dionnet. Je ne m’en rappelais même plus ! Et aussi Le garage à vélo qu’Albin Michel avait refusé de rééditer en disant : “Oula, non, on ne peut pas passer ça aujourd’hui !”. Ça veut dire que dans le délire du “mirage”, on vous ajoute un palmier ou deux. Il y a la genèse de tout ce que sera Druillet plus tard, les facettes multiples qui sortent de ce cerveau légèrement entamé, n’est-ce pas ? »

On y trouve en effet votre premier « Lone Sloane » sorti en 1966, et les illustrations et histoires courtes parues notamment dans les revues mythiques Métal Hurlant et Pilote jusqu’à la fin des années 70. Parlez-nous de cette période de tous les possibles ?

« Moi, j’ai d’abord crevé la dalle pendant six ans, me faisant jeter par les éditeurs. Mais je n’en avais rien à faire, j’avais la rage. Et j’ai eu beaucoup de chance. Mai 68 a été très important pour les dessinateurs de la nouvelle BD. On passait d’un monde à un autre. Et pour moi, en 1969, les choses se sont ouvertes grâce à René Goscinny qui dirigeait Pilote à l’époque. Je lui dois ma vie d’artiste. Et puis il y a eu la période “défonce”, rock n’roll, où on lisait les auteurs américains comme Crumb qui étaient dans le même bain que nous. C’était complètement dément !

On était dans cette atmosphère d’éclatement des cases, d’expressivité exacerbée… Je faisais de grandes planches avec des dessins dingues et en même temps j’avais besoin de m’éclater sur d’autres trucs plus ancrés dans la réalité. »

Un seul mot d’ordre : liberté…

« Oui, c’est le mot de base ! Pas d’entraves. Liberté de pouvoir évoluer. Et si on s’en prend plein la gueule, hé bien tant pis. On aura quand même fait ce qu’on a envie de faire. J’ai toujours été conscient qu’un type qui fait ce que je fais, dans un pays qui vénère Godard, Proust et Johnny Halliday, c’est étonnant qu’il vive de ce boulot depuis plus de cinquante ans.

Nous, on était fan de cinéma américain, japonais. On s’en foutait de la Nouvelle Vague ! La liberté, c’était ça aussi, de foutre ça en l’air. Ça me rappelle un t-shirt qu’avait fait mon pote Wollinski sur lequel était marqué : “Nous nous sommes battus en 68 pour ne pas devenir ce que nous sommes devenus aujourd’hui !” »

Vos univers sont sombres, parfois anarchiques. Quelle est votre vision du monde ?

« Un philosophe a dit : “Dans l’histoire de la planète, nous sommes arrivés les derniers et nous serons partis les premiers.” Et pour quelle raison ? Le profit. Moi j’aime l’argent, comme tout le monde, mais l’argent intelligent qui permet le cinéma, les spectacles, les beaux livres, qui permet aux artistes de s’exprimer. Mais quand on détruit pour le profit, il n’y a pas d’avenir possible.

“Si tu n’as pas le sens de l’humour…”

Le système ne fonctionne plus et les seuls qui ne s’en rendent pas compte, ce sont les politiques. Parce qu’ils n’ont pas envie qu’on leur enlève leurs privilèges. La cave à vin la plus exceptionnelle de France, c’est celle du Sénat. Tu te marres ! J’ai pressenti ça et je le rabâche depuis longtemps. Et je l’ai lu chez les auteurs comme K.Dick, Brunner, Spinrad, qui ont révolutionné le roman de science-fiction dans les années 70-80. Il y a tout dedans. Je l’ai retranscrit dans mon boulot, parce que c’est mon écriture automatique et c’est ce que je ressens. Le monde est détestable et c’est la plus belle chose au monde, qu’est-ce que tu veux faire ? Ce n’est pas sauver la planète qu’il faut, elle en a vu d’autres. C’est l’être humain qui est en péril et qui s’y met tout seul. »

Votre regard est désabusé, mais souvent non dénué d’une forme d’enthousiasme, de décalage, voire d’humour…

« Vous savez d’où ça vient ça ? Ça vient de l’horreur des camps de concentration où il y avait des juifs, des communistes, des homosexuels… Qu’est-ce qui les soutenait. Qui les aidait à tenir le coup ? C’est le sens de l’humour. Dans le monde dans lequel on vit, si tu n’as pas le sens de l’humour et de temps en temps un coup de rouge dans le pif, ce n’est même pas la peine d’essayer de tenir. »